Entretien avec le Général Arnaud de Cacqueray - Chef de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris
Évènement
Mise à jour le 02/05/2025

À la tête de l’une des unités les plus emblématiques de France, le général de Cacqueray commande depuis octobre 2024 la Brigade de sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), force d’élite au service de plus de 7 millions de personnes en Île-de-France. À l’occasion d’un entretien exclusif, il revient sur son parcours, les défis de sa mission et l’incendie majeur du centre de tri Paris-Batignolles Syctom le 7 avril 2025 qui a mobilisé près de 200 pompiers.
Mon général, pouvez-vous nous retracer les grandes étapes de votre parcours qui vous ont conduit à prendre le commandement de la BSPP ?
Ma carrière d’officier s’est construite autour de quatre axes : la formation, les ressources humaines, le renseignement et bien sûr, le métier de sapeur-pompier auquel j’aspire depuis l’âge de 14 ans environ.
J’ai commencé ma carrière militaire à Saint-Cyr en 1990 puis j’ai choisi l’arme du Génie et suis parti ensuite un an au 31e régiment du Génie de Castelsarrasin. En 1995, j’ai enfin pu rejoindre la brigade de sapeurs-pompiers de Paris. Par la suite, je suis retourné deux fois comme formateur à l’académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan. J’ai travaillé à plusieurs reprises à l’état-major de l’armée de Terre et au sein de la direction des ressources humaines. Enfin, j’ai eu en charge la sous-direction d’un service chargé de contre-ingérence économique.

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Charles Cohen Boyer
Mon parcours opérationnel a été marqué par trois passages au sein de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris : jeune officier en compagnie d’incendie et capitaine de la compagnie basée à Aulnay-sous-Bois ; puis comme chef de corps du 2e groupement d’incendie, situé dans l’est parisien ; enfin comme adjoint puis commandant de la BSPP. Je ne serai pas complet si je n’évoquais pas les scolarités successives qui ont jalonné ma carrière comme beaucoup d’officiers : master de ressources humaines, école de guerre et le centre des hautes études militaires que nous suivons en même temps que l’Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale.
Un grand sentiment de gratitude me vient lorsqu’il est question de ma prise de commandement, le 1er octobre 2024, en pensant aux chefs successifs qui m’ont formé, et aux 8 500 subordonnés qui m’accordent leur confiance désormais.
Diriger une brigade de plus de 8 500 femmes et hommes est un défi humain et opérationnel colossal. Quelles sont vos priorités pour garantir à la fois l’efficacité de l’intervention et la cohésion interne ?
La BSPP est en effet une structure particulièrement singulière à diriger, parce qu’elle est constamment engagée en opération. Elle fonde sa force sur six caractéristiques : son statut militaire, son positionnement pour emploi sous l’autorité du préfet de Police, son territoire de compétence interdépartemental (75, 92, 93, 94), le fait qu’elle dispose de ses propres médecins, sa dynamique d’innovation, et son autonomie logistique.
Depuis 2015, la Brigade a connu une période d’activité opérationnelle d’une rare intensité : attentats, grands incendies de 2019, crise des Gilets jaunes, puis du Covid-19, différentes phases de troubles urbains en banlieue et dans Paris, grands événements mondiaux comme l’Euro 2016, la Coupe du monde de rugby en 2023, jusqu’aux Jeux olympiques de 2024.
A présent, il nous est nécessaire de faire un travail de fond pour améliorer notre fonctionnement et nous préparer aux défis des futures décennies. J’ai fixé deux grands objectifs pour mon temps à la tête de cette magnifique unité : renforcer les fondamentaux et rechercher la soutenabilité de notre modèle dans tout ce que nous entreprenons.
Pour vous donner un exemple précis de ce que nous faisons pour améliorer notre efficacité, nous avons lancé en 2025 une démarche qualité du secours à personne. Concrètement, nous appelons un échantillon de personnes que nous avons secourues sur intervention, et nous leur demandons leur ressenti en cherchant à savoir, de leur point de vue, ce qui pourrait être amélioré au cours de leur prise en charge médicale. C’est une démarche simple mais absolument novatrice dans le monde du secours.
Le 17e arrondissement, à la fois dense et très contrasté, pose-t-il des défis particuliers en matière d’interventions pour la BSPP ?
Le 17e arrondissement pose certains défis communs au tissu parisien : densité des habitations, ancienneté des constructions, notamment l’architecture haussmannienne bien connue des sapeurs-pompiers de Paris, et présence de nombreux sites sensibles, qu’ils soient institutionnels, économiques ou patrimoniaux. A ce titre, votre arrondissement n’est pas en reste puisqu’il comprend, en plus du quartier général de la BSPP à Champerret, le quartier Bessières de la Police et le Tribunal Judiciaire.
Autant de sites que vos sapeurs-pompiers connaissent bien.
Mais le 17e arrondissement a, comme son voisin le 16e, la particularité d’être défendu par deux casernes situées sur son territoire : le centre de secours Boursault (27, rue Boursault) et bien sûr, le centre de secours Champerret (1 place Jules Renard). Ce dernier a la particularité d’héberger, en plus d’une compagnie incendie, la plateforme d’appel d’urgence 17-18-112, mutualisée avec la Police, et l’état-major opérationnel de la brigade.
Les incendies ne représentent qu’environ 2 % des interventions des pompiers, mais leurs conséquences restent dramatiques. Quelles sont aujourd’hui les règles de sécurité incendie essentielles encore trop souvent méconnues par le grand public ?

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Vous avez raison de le souligner : le nombre d’incendies a tendance à diminuer sur le long terme, puisqu’en 2024, nous sommes passés au-dessous du seuil de 10 000 incendies annuels sur le territoire de compétence de la BSPP. Il y a une vingtaine d’années, on en comptait le double. C’est une bonne nouvelle pour chacun et c’est aussi un défi pour vos sapeurs-pompiers puisqu’il est nécessaire de ne pas perdre en expérience opérationnelle.
Lorsqu’un incendie se déclenche, tout un chacun est souvent confronté à un dilemme : faut-il se confiner ou évacuer ?
La réponse est claire.
Quand vous êtes sur votre lieu de travail ou dans un établissement recevant du public, au musée par exemple, il vous est demandé d’évacuer les lieux au plus vite, parce que c’est ainsi qu’est conçue la réglementation. Plus vite vous sortez d’un lieu public sinistré, plus vite vous êtes en sécurité.
Au contraire, lorsque vous êtes chez vous, il faut en priorité chercher à vous confiner dans votre appartement en vous protégeant et appeler les secours en composant le 18.
Mais surtout, soyez bien conscients que si le nombre de sinistres diminue, c’est grâce à la Prévention qui est réalisée dans les constructions comme dans les établissements recevant du public et bien évidemment grâce aux détecteurs autonomes de fumée que tout le monde doit avoir chez soi, en état de marche !
L’incendie majeur du 7 avril dans le 17e a fortement marqué les habitants. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de cette intervention hors norme ?
Cette opération a fortement marqué les esprits par les images spectaculaires qu’elle a provoquées.
Les secours ont été appelés vers 20h00 et ont été sur place très rapidement. Le commandant des opérations a vite compris qu’il s’agissait d’un incendie de grande ampleur et a demandé d’emblée des renforts très conséquents. La théorie est simple mais la mise en œuvre compliquée : simultanément il faut reconnaître l’ensemble des volumes et s’assurer de l’absence de victimes, demander des moyens de grande puissance et les placer pour contenir le feu dans son volume initial, gérer les mesures de pollution qui sont très rapidement demandées et attaquer massivement le feu avec de l’eau puis de la mousse. Pour ce type d’incendie, nous avons besoin de moyens très importants, des lances à eau à très haut débit, des échelles aériennes, et des drones équipés de caméras thermiques qui permettent d’obtenir une vue d’ensemble du sinistre.

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Charles Cohen Boyer
Grâce à l’endurance des intervenants, le feu a été maîtrisé au cours de la nuit. Aujourd’hui, nous menons encore des rondes et mesurons les températures pour être certains de prévenir toute reprise de feu. Cela paraît étonnant, mais le site n’est que partiellement accessible.
Il faut souligner la force du travail interservices indispensable au succès d’une telle opération : sapeurs-pompiers, policiers, gérants de l’établissement, représentants d’Enedis, de GRDF… et bien sûr, les services de la mairie, avec la présence de M. Boulard dès les premiers instants.
Environ 200 pompiers ont été mobilisés ce jour-là. Comment s’organise une intervention d’une telle ampleur, sur le plan tactique et humain ?

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Charles Cohen Boyer
Comme pour tout incendie, la rapidité d’analyse et d’action est déterminante.
Le premier COS (commandant des opérations de secours) doit évaluer en quelques minutes les risques de propagation et faire ce qu’on appelle « la part du feu », c’est-à-dire déterminer ce qui doit être sauvé en priorité. Ensuite, vient le temps de structurer l’intervention : acheminer les moyens adéquats et positionner les dispositifs d’attaques aux points judicieux pour obtenir le meilleur compromis entre efficacité et sécurité des intervenants.
Notre fonctionnement militaire est une force pour organiser ce type d’opération, parce que le chef est identifié par tous et les ordres sont répercutés à tous les échelons. La présence de médecins BSPP dans nos rangs nous donne aussi une forte réactivité.
Sur cette opération, l’une des problématiques majeures a été le traitement des fumées. Un travail considérable de prélèvements atmosphériques et la mise en place d’un réseau de mesures a été mené conjointement avec le laboratoire central de la préfecture de Police, en lien avec l’Agence régionale de Santé.
Suite à cet événement, plusieurs messages de prévention ont été diffusés auprès des habitants. Quels sont, selon vous, les réflexes les plus vitaux à transmettre en cas d’incendie ?
[Pour faire écho à la question n°4], il est primordial de se tenir à distance d’un tel sinistre, surtout lorsque la curiosité collective ou individuelle pousse à s’approcher, notamment parce que le danger d’une explosion ou d’un effondrement est toujours très élevé. Le second réflexe demeure de s’assurer que les secours ont été appelés. Pour les résidents du quartier, s’ils sont soumis aux fumées ou s’ils sont sous le vent, il est conseillé bien entendu de fermer les fenêtres et de ne pas hésiter à appeler les secours en cas de détresse respiratoire.
Je profite de cette question pour vous rappeler ce que nous nommons « L’éthique du sapeur-pompier », écrite il y a plus de soixante ans par le général CASSO qui a commandé les pompiers de Paris avant de devenir maire de votre arrondissement :
Je ne veux connaître ni ta philosophie,
ni ta religion, ni ta tendance politique,
peu m’importe que tu sois jeune ou vieux,
riche ou pauvre, français ou étranger.
Si je me permets de te demander quelle est ta peine,
ce n’est pas par indiscrétion mais bien pour mieux t’aider.
Quand tu m’appelles, j’accours,
mais assure-toi de m’avoir alerté
par les voies les plus rapides et les plus sûres.
Les minutes d’attente te paraîtront longues,
très longues, dans ta détresse
pardonne mon apparente lenteur.