Arménie, une invasion dans le silence - Interview Croisée

Entretien
Mise à jour le 29/11/2023
Hasmik Tolmajian, ambassadrice d’Arménie en France, et Geoffroy Boulard, maire du 17e arrondissement
Quelle est la situation actuelle dans la région du Caucase du Sud et, notamment, en Arménie ?
Hasmik Tolmajian : L’Azerbaïdjan avait lancé en automne 2020 une guerre d’agression contre le Haut-Karabakh, accompagnée d’atrocités, de crimes de guerre, en employant contre la population civile des armes à sous-munition et des bombes à phosphore interdites par le droit international, sans en avoir étant soumis à une quelconque sanction. Encouragé par cette impunité et profitant du déséquilibre militaire devenu flagrant après la guerre de l’automne 2020, l'Azerbaïdjan a continué sa politique d’agression et de terreur contre le Haut-Karabagh, mais aussi contre la République d’Arménie en « grignotant » progressivement le territoire souverain arménien et occupant plus de150 km² de celui-ci.
Le 12 décembre 2022, des soldats azéris, déguisés en « militants écologistes », avaient bloqué le corridor de Latchine, la seule route reliant le Haut-Karabakh à l’Arménie et donc au reste du monde. Les 120 000 citoyens du Haut-Karabakh s'étaient retrouvés isolés, coupé du monde entier, dans un blocus inhumain, et ceci malgré la double ordonnance de la Cour internationale de Justice. Un approvisionnement au compte-goutte de médicaments et du lait maternisé était assuré par le Comité international de la Croix-Rouge pendant les premiers mois, mais dès le juin dernier, l’Azerbaïdjan a bloqué totalement l’accès du corridor même aux voitures de la Croix Rouge en condamnant la population du Haut-Karabagh à une famine. Le premier procureur de la Cour pénal international M. Moreno Ocampo et d’autres éminents experts internationaux ont dénoncé « le génocide en cours » en s’appuyant sur la Convention des Nations Unies sur la prévention du génocide, à travers l’utilisation de la famine comme arme invisible de crime.
Le 19 septembre, après 10 mois de blocus inhumain, l’Azerbaïdjan a lancé une offensive militaire contre le Haut-Karabagh avec comme objectif de contraindre sa population à l’exode massif et donc achever la dernière phase du nettoyage ethnique des Arméniens du Haut-Karabakh. Fidèle à sa signature sanglante, l’Azerbaïdjan a commis des atrocités contre la population civile affamée, y compris les enfants. En l’espace de quelques jours, le Haut-Karabakh (l’Artsakh de son nom historique arménien), a été entièrement vidée de sa population. C’est 3000 ans d’histoire, 3000 ans de présence arménienne, qui ont été effacées. Le peuple arménien qui avait connu le premier génocide du 20ème siècle, a subi également le premier nettoyage ethnique du 21ème siècle. Mais une fois de plus, aucune sanction n’a été appliquée à l’égard de l’Azerbaidjan, et le sentiment d’impunité total conduit ce pays à poursuivre sa politique expansionniste et à menacer ouvertement l’intégrité territoriale de l’Arménie.
Geoffroy Boulard : Avec près de 100 000 déplacés arméniens du Haut-Karabagh, la situation actuelle est en effet alarmante. L’attaque éclair de l’Azerbaïdjan sur c ette enclave s’est réalisée à l’écart des conventions de la guerre, s’apparentant davantage à un nettoyage ethnique. La politique belliqueuse Azerbaidjanaise n’a d’autre volonté qu’une ambition expansionniste au détriment du droit international avec pour objectif affiché de faire la jonction avec sa propre enclave de Nakhitchevan.

Le peuple arménien a connu le premier génocide du 20ème siècle. Aujourd’hui, il connait le premier nettoyage ethnique du 21ème siècle

Hasmik Tolmajian
ambassadrice d’Arménie en France
L’Arménie est le berceau de la civilisation chrétienne. Qu’attendez-vous concrètement aujourd’hui de l’Union européenne et de la communauté internationale ?
HT : L’Arménie, en effet, a été le premier pays ayant adopté le christianisme comme religion d’État, en 301. En 405, l’alphabet arménien a été créé par un moine, Mesrop Machtots, pour pouvoir traduire la Bible en arménien et rendre ainsi le christianisme plus accessible à la population. Par ailleurs, l’une des premières écoles arméniennes a été ouvertes par Mesrop Machtots auprès du monastère d’Amaras, en Artsakh. Aujourd’hui tout le patrimoine culturel arménien, l’ensemble des églises et des monastères sont menacés d’être effacés ou appropriés par l’Azerbaïdjan.
Nous souhaitons espérer que la communauté internationale, et en particulier de l’Union européenne, prennent des mesures fortes pour stopper l’Azerbaïdjan dans la poursuite de sa politique expansionnisme, pour mettre fin à l’impunité, pour faire respecter l’intégrité territoriale de l’Arménie et de créer des conditions nécessaires pour le retour de la population arménienne au Haut-Karabagh en sécurité et dans la dignité.
GB : Le positionnement de la France, avec la visite de la Ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna le 3 octobre dernier à Erevan, a pris la direction d’une aide humanitaire pour les populations déplacées ainsi qu’une livraison de matériel militaire. J’attends de l’Union européenne qu’elle se rassemble au nom de la démocratie et des droits humains fondamentaux. Par ailleurs, la communauté internationale doit prendre ses responsabilités et demander un retrait immédiat troupes Azerbaidjanaises. Elle doit aussi veiller à la coordination de l’aide aux déplacés et à l’instauration d’un corridor humanitaire.

La communauté internationale doit prendre ses responsabilités et demander un retrait immédiat troupes Azerbaidjanaises

Geoffroy Boulard
maire du 17e arrondissement
La diaspora arménienne est très nombreuse en France, notamment depuis le génocide arménien de 1915. Quel est votre rôle pour lui permettre de continuer à aider leur pays de cœur?
HT : La France et l’Arménie sont liées par des relations d’amitiés millénaires, et la diaspora arménienne en France, constituée essentiellement des survivants du génocide arménien de 1915, remarquablement intégrée, joue un rôle important dans cette relation exceptionnelle. Ces Arméniens profondément reconnaissants à la France qui leur a offert une terre d’accueil et la possibilité de se reconstruire, ont apporté pleinement leur contribution au rayonnement de la France.
Charles Aznavour, ce rescapé du génocide arménien devenu l’un des visages de la France, disait « Je suis Français à 100% et Arménien à 100% ». Aujourd'hui, les 700 000 français d’origine arménienne souscrivent entièrement à ces propos de Aznavour. Et chacun d’entre eux incarne cette relation forte et enrichit les liens humains privilégiées qui unissent nos peuples. L'Ambassade dans son modeste rôle, essaie d’y contribuer.
Je souhaite rappeler que nous avons une histoire particulière avec le 17e arrondissement. De nombreuses associations arméniennes y sont implantées, et l'Ambassade d'Arménie en France y est située depuis trente ans. Nous apprécions les relations d’amitié que nous entretenons avec le 17e, le Maire et de tous les élus, ainsi que les multiples initiatives en faveur de l’Arménie et du Haut-Karabagh.
GB : La France a été l'un des premiers pays à reconnaître officiellement le génocide arménien. En 2001, la France a adopté une loi reconnaissant le génocide arménien de 1915.
Après le génocide, de nombreux Arméniens ont fui la Turquie et se sont réfugiés en France.
L'implication de la France dans l'aide à la communauté arménienne depuis 1915 témoigne de l'engagement du pays envers la justice et la préservation de la mémoire du génocide arménien. Cette aide a contribué à renforcer les liens entre la France et la communauté arménienne, tout en faisant progresser la reconnaissance internationale du génocide arménien.

La région de Syunik dans le viseur de Bakou ?
Après avoir récupéré le Haut-Karabakh, l’Azerbaïdjan réclame d’autres territoires situés à l’intérieur des frontières de l’Arménie.
Il s’agit de petites enclaves dont le statut est ambigu depuis les multiples transferts qui ont lieu entre les deux entités nationales à l’époque soviétique.
Depuis septembre, près de 100 000 réfugiées ont fui le Haut-Karabakh.
La Mairie du 17e se mobilise pour l’Arménie
La Mairie du 17e a lancé une collecte solidaire pour les familles de réfugiés du Haut-Karabagh, mises sur la route de l’exode par l’invasion de l’Azerbaïdjan.
Vêtements d’hiver neufs, couvertures chaudes neuves, produits d’hygiène, couches pour bébé, plusieurs tonnes ont été collectées jusqu'au 18 novembre.